Pour les milieux horlogers, Rolex est une entreprise à part. Tellement différente que l’on n’essaie pas de se comparer à elle ni même de la copier, car c’est une exception, un point, c’est tout.
(par Xavier Comtesse)
Pourtant, les économistes américains ont une expression pour désigner ce type de business model, développé depuis des lustres par Rolex : le « business moat ». Ce terme a été popularisé par l’homme d’affaires américain Warren Buffett et désigne le fait qu’une entreprise creuse un fossé (« moat », en anglais) infranchissable pour la concurrence. C’est donc, en d’autres termes, la capacité de maintenir à distance tous les compétiteurs. C’est exactement ce qu’a fait Rolex – et tout le monde l’admet, sans pour autant l’avouer publiquement.
Les dix points stratégiques qui ont permis à l’horloger suisse de creuser un fossé infranchissable entre lui et ses concurrents.
Mais comment l’horloger a-t-il procédé pour en arriver là ? Constance et consistance (théorie des 4 C, soit Constance, Continuité, Cohérence et Concentration).
Selon les spécialistes du « business moat », il faut plusieurs ingrédients pour créer un tel fossé et, surtout, une stratégie consistante et constante. Pour Rolex, cela consiste en dix points spécifiques.
Une avance technologique, tout d’abord : l’étanchéité des montres. Le boîtier Oyster est breveté en 1926. Rendu totalement hermétique grâce à un système de lunette, de fond et de couronne de remontoir vissés sur la carrure, il protège l’intérieur de la montre des agressions extérieures. Comme une huître (« oyster », en anglais), une Rolex peut résister dans l’eau un temps illimité, sans subir aucun dommage. Cette invention représente une avancée majeure dans l’histoire de l’horlogerie.
La fiabilité, ensuite : une montre Rolex est construite pour durer. Elle est robuste (sa forme l’indique) et ne tombe pas en panne (service après-vente garanti). L’entreprise s’associe à des exploits sportifs hors normes, comme la traversée de la Manche à la nage par la nageuse britannique Mercedes Gleitze, en octobre 1927.
Le network : la base clientèle se construit sur le réseau des exploits nautiques, du monde des sportifs de renom, puis des stars d’Hollywood. L’identification se fait à partir des prouesses de personnalités extraordinaires. Ainsi naît l’idée d’une story.
Le storytelling : « Si à 50 ans on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie ! » Cette phrase, prononcée en 2009 par le publicitaire français Jacques Séguéla, a certes fait polémique, mais elle illustre bien cette idée d’ascension sociale propre à la marque Rolex.
Les marges : il faut être capable de dégager de jolies marges pour pouvoir maintenir un « fossé » suffisamment important avec la concurrence. En ce sens, Rolex a toujours été très profitable et les différents dirigeants qui se sont succédé à sa tête, ont su et dû maintenir ces marges, au risque de devoir partir.
Le marketing : les dépenses colossales en marketing (de 180 à 200 millions d’euros dépensés en sponsoring sportif en 2018, selon le journal « Bilan ») sont là pour entretenir l’image, le storytelling et ce fameux « fossé ». Aucun des multiples rivaux de Rolex n’a pu égaler, à ce jour, de telles dépenses en marketing… pas même Apple.
L’investissement que représente une Rolex : la montre ne perd pas de valeur. Elle doit pouvoir trouver un second marché si son propriétaire désire la revendre. C’est une condition essentielle pour maintenir la proposition de valeur de Rolex. Les ventes aux enchères sont des lieux propices pour maintenir le désir pour les montres vintage.
Un « fossé » qui se crée sur la durée : il faut être capable de maintenir la concurrence à distance sur une longue période (plusieurs décennies), avant d’obtenir le statut d’intouchable. A cet égard, Rolex domine le marché des dépenses publicitaires de tout le secteur horloger avec constance et consistance, contrairement à d’autres marques, dont les dépenses apparaissent davantage en dents de scie.
Le client comme ambassadeur : en portant sa montre avec fierté, celui qui détient une Rolex est le premier ambassadeur de la marque. D’autant que les « connaisseurs » parviennent à repérer une Rolex, au premier coup d’œil, sans même distinguer l’emblématique petite couronne. C’est élémentaire, mais vital pour la marque.
L’innovation incrémentale : tout réside dans l’amélioration constante de la performance technique, avec une innovation imperceptible, sans effets de manche ou de pseudo-innovation.
Un combat inégal
Voilà comment Rolex a réussi à creuser un « fossé » infranchissable avec les autres horlogers. La seule autre entreprise qui a compris l’intérêt de ce business model basé sur le « moat », c’est Apple avec son Apple Watch. L’entreprise américaine a investi le marché de la montre connectée en 2015, bien après d’autres comme Garmin ou Fitbit. Elle a pourtant rapidement pris plus de 50% du marché, loin devant le coréen Samsung qui fait, depuis plusieurs années, la course en tête sur le marché mondial des smartphones. Mais le combat est inégal entre vieille économie et nouvelle économie. En 2019 déjà, Apple avait vendu davantage de montres que toutes les marques suisses réunies.
Crédits :
Harward Business Review France
Jean-Claude Biver
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